- ABRASION MARINE
- ABRASION MARINEForme de l’érosion marine qui se caractérise par un grattage superficiel attaquant la roche en place ou les grosses particules libres, l’abrasion marine est surtout active au voisinage du niveau de la mer.La mer, par le seul mouvement de l’eau, n’est apte qu’à transporter des particules meubles, ou à desceller des éléments mal consolidés ou déjà sérieusement fissurés. Mais à l’action propre de la houle s’ajoute celle d’agents secondaires, soit particuliers au milieu littoral ou sous-marin, soit communs à ce milieu et aux milieux continentaux.La désagrégation des roches est le principal de ces agents secondaires. Elle intervient, en bord de mer, comme sur les terres émergées, par les alternances de gel et de dégel, d’humidification et de dessiccation par l’hydrolyse de certains minéraux des roches qui entraîne le déchaussement des autres minéraux. Mais, à ces processus, s’en ajoutent d’autres qui sont plus spécifiquement littoraux: par exemple, cristallisation du sel dans les fissures ou action d’algues microscopiques et de bactéries. Des organismes marins plus importants contribuent aussi à rendre fragiles les roches en place (lithophages), à accroître la dimension des fissures (moules) ou à donner aux vagues une plus grande prise sur les roches (algues à crampons).Même aidée par cette désagrégation, la mer n’aurait encore qu’une action assez médiocre, si elle n’était armée de particules sédimentaires qui forment projectiles ou qui sont traînées sur le fond en grattant le substrat. Là où les particules meubles spontanément fournies par la désagrégation ne peuvent rester dans le milieu littoral, parce que des fonds assez importants situés à proximité les attirent irréversiblement, l’abrasion marine reste relativement médiocre, même en des endroits exposés à des houles violentes. Quand, au contraire, les particules ainsi libérées restent sur place et sont remises en mouvement par chaque va-et-vient de la houle, leur action est intense, comme le montre la rapidité avec laquelle elles acquièrent un émoussé caractéristique.1. La plate-forme d’abrasionDans le domaine littoral, l’abrasion marine tend à façonner une plate-forme, dont l’aspect superficiel varie selon que tel ou tel agent prédomine, sans qu’en général cette plate-forme devienne vraiment lisse ou plane: presque toujours, des crêtes, des sillons, des chicots, des cavités la rendent fort imparfaite, les irrégularités pouvant dépasser un mètre de commandement.Le déferlement de la houle met en mouvement les sables et les galets, en les projetant vers le haut de l’estran. Des galets de taille moyenne peuvent ainsi être projetés à plusieurs dizaines de mètres de la limite atteinte par les eaux, ce qui donne une idée de l’énergie cinétique dont ils sont animés au départ, et avec laquelle ils peuvent heurter les falaises, ou les roches de l’estran. On observe en effet, sur les reliefs qui dominent un estran sédimentaire, des encoches dues au choc des particules meubles et placées un peu au-dessus de la surface habituelle du sédiment. Dans une roche compacte, comme un granite à grain fin, ces encoches, particulièrement profondes du côté du large (mais qui existent aussi de l’autre côté des roches isolées sur l’estran, où elles sont dues à la redescente des galets roulant sur l’estran quand la vague retombe), ne se façonnent que très lentement, et ce n’est qu’au bout de quelques milliers d’années que la roche sera cisaillée à sa base. Au contraire, dans des roches litées ou déjà fissurées, le surplomb ne pourra pas durer très longtemps et des pans entiers s’effondreront, ce qui est le processus essentiel de recul des falaises.Dans le cas d’inégalités de résistance de la roche, et surtout quand ces inégalités sont disposées verticalement (bancs sédimentaires redressés à la verticale, filons, milonites), le sapement à la base des falaises se fait plus vite dans les parties les plus tendres. Il se creuse des grottes littorales qui peuvent s’étendre très loin, puisque l’effondrement qui est l’aboutissement normal du creusement de l’encoche est ici entravé par le maintien latéral de piliers de roches saines. La forme en entonnoir de beaucoup de ces grottes explique l’extraordinaire vigueur de la mer qui parfois défonce les plafonds et ouvre des évents par lesquels, lors des tempêtes, jaillit une émulsion d’air comprimé et d’eau. Ailleurs, et notamment à la faveur de réseaux de fissures orthogonales, le fond de la grotte s’élargit en une chambre circulaire où tourbillonnent des galets.La compression de l’air dans les grottes y joue un rôle au moins aussi important que l’abrasion mécanique par les galets. C’est ce qui explique que l’on trouve des grottes bien développées même là où, faute de galets, la plate-forme d’abrasion manque.Lorsque c’est du sable qui est ainsi projeté, et non des galets, un nettoyage de la surface des roches est produit par une abrasion modérée, qui rappelle en tout point le décapage au jet de sable. Habituellement, ce décapage ne se manifeste pas à plus de 50 ou 60 centimètres au-dessus de la surface de la plage. Il a pour effet d’empêcher la fixation sur la roche de toute algue, de toute bactérie, de tout lichen, et il aboutit peut-être à un ralentissement de l’érosion, puisque cette abrasion mécanique exclut l’érosion biologique qui est peut-être plus rapide. Mais la vitesse de l’abrasion du sable sur des roches compactes, comme les granites à grain fin, n’a pas encore été mesurée avec précision.2. Les estrans rainurésLe retour de la vague vers le bas de la plage entraîne des particules meubles qui, traînant sur le substrat, y exercent une action érosive qui peut être importante. Quand ce retour se fait selon la plus grande pente de l’estran, ce qui est le cas moyen, il peut arriver que les particules raclantes soient canalisées par de menues irrégularités de la surface et exercent leur action abrasive en certains endroits plutôt qu’en d’autres, creusant ainsi des rainures parallèles, selon la plus grande pente de l’estran. Ces estrans rainurés sont particulièrement beaux devant des côtes à falaises, comme celles du pays de Caux. Mais une forme comparable se rencontre sur les récifs coralliens, où la face externe est souvent sculptée en «éperons et sillons» par ce phénomène de canalisation du retour des sédiments.Ce phénomène est du même type que celui que l’on connaît, sous le nom de croissants de plage, sur des estrans entièrement sédimentaires. Toutefois, les croissants de plages sont mobiles comme les matériaux dans lesquels ils sont taillés, alors que les rainures creusées dans la roche en place sont permanentes. Les variations de vigueur ou de direction des houles ne peuvent déplacer ces dernières, mais seulement les rendre non fonctionnelles pendant quelque temps.Les rainures ne sont fonctionnelles que par mer agitée. À marée basse, ou par temps calme, une couche de sédiment immobile en tapisse le fond. Le creusement ne reprend que par gros temps, lorsque toute l’épaisseur du sédiment est remise en mouvement. On conçoit que plus la rainure s’approfondit, plus rarement il advient que toute l’épaisseur du sédiment soit remise en mouvement. Il y a donc une limite à l’approfondissement et cette limite semble dépendre à la fois de l’obstacle que les crêtes, entre rainures, offrent à l’action de la houle (donc de la largeur de la rainure) et de la pente générale de l’estran. Ainsi, les sillons des récifs coralliens sont souvent assez profonds, à la fois parce que le bas d’estran est en forte pente vers le large et que l’eau circule avec violence, et parce que les constructions coralliennes latérales tendent à rétrécir le sillon en y concentrant le ruissellement, alors que sur un estran rainuré «normal» la rainure tend à s’élargir par planation latérale.Lorsque la pente de l’estran est moins marquée, la canalisation le long de la plus grande pente se fait mal, des tourbillons se forment quand la vague redescend, et les menus creux de l’estran peuvent alors être exploités en cuvette: les galets, rassemblés dans les cuvettes par les tourbillons, et pris dans ces mouvements giratoires, raclent le fond jusqu’à y creuser des marmites qui seraient en tout point comparables à celles que l’on observe dans les lits des cours d’eau, si elles n’étaient assez généralement ouvertes vers le large par une sorte de tranchée par laquelle monte la vague.3. Plates-formes d’abrasion étagéesLa plate-forme d’abrasion est souvent masquée, partiellement (cas des estrans rainurés) ou entièrement, par le sédiment dans l’intervalle de deux épisodes de fonctionnement. C’est ainsi que la plupart des plages reposent sur un substrat qui n’est mis à découvert que lors des plus fortes tempêtes, et qui est alors un peu érodé, de sorte que la plage recule peu à peu, usant autant de son substrat du côté du large qu’elle en enfouit sur son revers.La plate-forme d’abrasion a donc un profil comparable à celui des accumulations sédimentaires littorales, puisqu’elle n’est que le lieu du va-et-vient des sédiments abrasifs et la limite du démaigrissement de la plage. Dans les mers sans marée, elle est, comme les plages, en pente douce depuis un mètre ou deux au-dessous du niveau de la mer jusqu’à un mètre ou deux au-dessus, ces limites pouvant être élargies dans les endroits les plus battus. Dans les mers à marée, la plate-forme d’abrasion peut s’étendre depuis une dizaine de mètres au-dessous du niveau des plus basses mers jusqu’à deux ou trois mètres au-dessus de celui des plus hautes mers. Il faut noter que si, comme les plages, la surface d’abrasion recule, elle peut ne pas le faire à la même vitesse en tous les points d’un même segment de côte. Le maintien de lambeaux témoignant d’un état ancien de la plate-forme ne doit donc pas être considéré comme indiquant nécessairement une variation du niveau de la mer: le simple recul d’une partie de la plate-forme, alors que le reste a cessé d’être érodé, suffit à provoquer un étagement de plates-formes d’abrasions successives. En effet, si, pour une raison quelconque, telle que la plus grande dureté locale de la roche, ou le masque procuré par quelque îlot, une partie de la plate-forme cesse d’être fonctionnelle pendant un certain temps, alors que le reste continue à s’abaisser, ou même si son évolution est simplement ralentie par rapport à celle du reste de l’estran, les sédiments tendront à se grouper désormais dans la partie basse, et la partie abandonnée sera pratiquement immunisée contre l’érosion superficielle; elle sera seulement soumise à une attaque latérale qui lui fera dominer la partie fonctionnelle par une microfalaise. L’obstacle opposé par cette microfalaise à toute remontée du sédiment sur le lambeau supérieur prolongera cette immunité.4. Les platiers rocheuxCes formes d’abrasion mécanique se développent surtout dans les régions de roches non calcaires. Dans les calcaires très résistants, l’abrasion mécanique joue un moindre rôle que la dissolution, de sorte que le modelé traduit plutôt l’action de cette dernière. Ceci est dû à la fois à la dissolution de la roche en place, qui oblitère les traces éventuelles d’une abrasion mécanique, et la dissolution des particules meubles, par laquelle la mer se trouve privée de l’instrument essentiel de son action.Aussi dans la craie à silex, peu résistante, et qui fournit des galets insolubles, l’action mécanique domine-t-elle, malgré la nature calcaire du matériau: si rapide qu’y soit la dissolution, l’abrasion mécanique est plus rapide encore et l’emporte. Il en va de même dans les calcaires lités où chaque banc résistant est séparé par un lit marneux: l’exploitation mécanique est facilitée et on a un estran en marches d’escalier.Une plate-forme d’abrasion imparfaite (comme elles le sont presque toutes) est souvent désignée sous le nom de platier rocheux. Il est de fait que, dans les roches très résistantes, l’abrasion marine est si lente qu’elle n’a pas eu le temps, depuis la dernière transgression, de façonner une véritable plate-forme d’abrasion. Elle s’est bornée à débarrasser la roche saine des éléments meubles ou semi-meubles qui la recouvraient: roche pourrie ou cryoclasée, coulées de solifluxion, limons éoliens, sables dunaires, plages anciennes mal consolidées, toutes formations dont les constituants acquièrent ainsi ou retrouvent une mobilité qui en fait des agents d’abrasion, alors même que le fait qu’ils encombrent encore le platier permet de croire à une exhumation incomplète de celui-ci. Dans beaucoup de cas, en effet, la plate-forme actuellement fonctionnelle résulte de l’exhumation d’une plate-forme d’abrasion, façonnée lors d’un niveau marin antérieur, et la mer reprend le travail là où il avait été interrompu par la dernière régression. La présence en haut d’estran de lambeaux de plages anciennes à des niveaux peu différents de celui de la plage actuelle permet souvent d’affirmer qu’il en fut bien ainsi.5. L’abrasion sous-marineUne partie seulement des processus qui valorisent l’abrasion marine littorale joue actuellement dans les régions plus profondes. De plus, si les transports de sédiments dus à la houle ou aux courants existent jusqu’à des profondeurs importantes, ils sont plus rares, et généralement moins importants, que sur le littoral. Aussi l’abrasion sous-marine est-elle peu active et son existence même a-t-elle été longtemps contestée.Seuls les transports dus à la houle peuvent aboutir à la formation de platiers rocheux. On ne trouvera donc ceux-ci, à l’état fonctionnel, qu’aux profondeurs assez médiocres où les houles les plus violentes peuvent encore déplacer des sables ou des graviers, soit, dans la meilleure des hypothèses, jusqu’au bord du plateau continental. Encore ces platiers sont-ils extrêmement imparfaits, et les soupçonne-t-on d’avoir été fonctionnels surtout lors des grandes régressions quaternaires.Les transports par les courants sont indubitablement responsables d’une certaine abrasion; mais leur efficacité sur la roche en place est controversée. Les plus actifs de ces courants, parce qu’ils sont alternatifs et ramènent sans cesse sur le chantier les mêmes sédiments abrasifs, sont les courants de marée. Les ombilics de surcreusement dans les passes étroites, et notamment aux entrées de rias comme la rade de Lorient ou celle de Brest, peuvent atteindre une cinquantaine de mètres de profondeur. On a longtemps pensé que la mer ne pouvait qu’entretenir propre un chenal dont le creusement était dû à l’érosion fluviatile. Mais les variations de nature et d’épaisseur des sédiments qui tapissent ces passes permettent de supposer que, comme les plages, ils connaissent des phases d’engraissement et de démaigrissement et qu’il peut y avoir abrasion lorsqu’il ne reste plus sur la roche en place qu’un mince voile mobile de particules grossières.Les courants de turbidité ont de même une action érosive sur la roche en place et contribuent au façonnement des canyons sous-marins. Mais il ne s’agit que de mouvements très espacés dans le temps et le creusement qui pourrait en résulter ne peut être que très lent.
Encyclopédie Universelle. 2012.